mardi 29 novembre 2016

René Girard "Je vois Satan tomber comme l'éclair" 1999

L'unanimité dans les groupes humains est rarement porteuse de vérité, elle n'est le plus souvent qu'un phénomène mimétique, tyrannique.

Les évangiles eux-mêmes attirent notre attention sur la perte de l'unanimité partout ou Jésus intervient. Jean en particulier signale à maintes reprises la division entre les témoins après les paroles de Jésus.
Après chaque intervention de Jésus, les témoins se querellent et loin d'unifier les hommes son message suscite le désaccord et la division.

L'influence complexe du christianisme se répand sous la forme d'un savoir inconnu des sociétés pré-chrétiennes et qui ne cesse de s'approfondir.
Ce savoir n'a rien d'ésotérique. Pour l'appréhender, il suffit de constater que nous observons et comprenons des situations d'oppression et de persécution que les sociétés antérieures à la notre ne repéraient pas ou tenaient pour inévitables.
Le pouvoir biblique est de comprendre les phénomènes victimaires

Entre Dionysos et Jésus, il n'y a "pas de différence quant au martyre", autrement dit les récits de la Passion racontent le même type de drames que les mythes, c 'est le sens qui est différent.
Tandis que Dionysos approuve et organise le lynchage de la victime unique, Jésus et les évangiles le désapprouvent.


Au-delà des systèmes récemment écroulés, l'humanisme, le rationalisme, la révolution, la science même, il n'y a pas aujourd'hui le vide absolu que l'on nous annonçait naguère. Il y a le souci des victimes, et c'est lui qui, pour le meilleur et le pire, domine la monoculture planétaire dans laquelle nous vivons.
La mondialisation est le fruit de ce souci. Si le souci des victimes se révèle, c'est parce que toutes les grandes formes de la pensée sont épuisées, discréditées.
Même notre nihilisme est un pseudo nihilisme:Pour croire en sa réalité , on essaie de faire du souci des victimes une attitude qui va de soi, un sentiment tellement répandu qu'il ne peut passer pour une valeur.En réalité c'est une exception flagrante à notre néant de valeur.  Autour de cette valeur, c'est le désert, mais il en va de même de tous les univers dominés par un absolu.

Ce qui exigeait encore pour être repéré, il y a un siècle , la perspicacité d'un Nietzsche, aujourd'hui le premier enfant venu le perçoit.
La surenchère perpétuelle transforme le souci des victimes en une injonction totalitaire, un inquisition permanente.
Parler d'ère post-chrétienne est une plaisanterie: nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie de s'échapper à l'orbite judéo-chrétienne.
Les transcendances mensongères sont en train de se désagréger dans l'univers entier sous l'effet de la révélation chrétienne. Cette désagrégation du religieux entraîne paradoxalement le recul du christianisme lui-même, longtemps contaminé de survivances "sacrificielles".

Dans le langage symbolique du nouveau testament, on peut dire que, pour essayer de se rétablir et triompher à nouveau, Satan dans notre monde emprunte le langage des victimes. Cette imitation est présente depuis longtemps dans le monde christianisé mais elle se renforce à notre époque.

Un néo-paganisme situe le bonheur dans l'assouvissement illimité des désirs et, par conséquent , dans la suppression de tous les interdits, conférant une apparence de plausibilité à la thèse qui fait de toute loi morale un pur instrument de répression et de persécution.